Chemin faisant


A Fey

Mardi 1 octobre, fête de Sainte-Thérèse de l'Enfant Jésus. La sous-directrice d'école m'invite pour un engagement d'une journée dans un petit village de sa grande commune de montagne. C'est un conte de Fey ! Je me réjouis tant de retrouver l'univers enfantin. Ce seront dix-sept bambins de deux degrés, provenant de la plaine et faisant revivre momentanément l'école du village.

Avec mon collègue d'un jour, nous avons préparé la journée dans ses moindres détails techniques. Il m'a confié sa clé et la cachette secrète où la rapporter. A moi les cascades apicoles en mathématique, les sketchs d'allemand, la dictée redoutée... Je donnerai même un cours de musique. Oh ! Chanter avec les élèves, si possible chaque jour, vivifie l'acte d'apprendre. Au début de la classe, je me retiendrai de me signer avec les élèves, comme il faut le faire aujourd'hui. Dans mon coeur, avec Lui, je me mettrai à l'écoute des différences, des sensibilités. Pédagogue chrétienne ? Saurai-je être lisse, en adéquation avec les mutations de la profession ? Ma vocation n'a pas pris une ride. Me rappeler d'y mettre les gants.

Dans ma carrière d'enseignante, j'ai analysé divers processus d'apprentissage, remodelé la configuration de la classe, cherché à introduire un cours de rythmique dans l'exercice de la lecture, structuré, ordonné, dénoué des noeuds dans la découverte du savoir ... J'ai toujours cherché la vérité, et j'ai compris qu'elle est une perle de grand prix.

Aujourd'hui, quelle liberté ! Des petits, un village de montagne qui sent bon la mousse, le jardin d'automne, la vie simple de chez nous. Ah ! Je crois que je suis une Fey !

Marie-Claude Gauye


Chemin faisant


La passeggiata


Viareggio. Douceur estivale, entre chiens et loups. Le sable a coulé entre mes orteils en cette fin d'après-midi. Agréable impression de s'essayer au temps qui passe. Il me dit sa continuité et sa fragilité nichée dans un sempiternel recommencement. C'est la vie, tel un pas de danse. Dans le sable, si l'on s'arrête, l'on s'enfonce.

A l'heure de goûter aux plats régionaux, je m'installe le long de la passeggiata. Le va-et-vient des touristes et autochtones attire mon attention. Ils arrivent de-ci, de-là, et s'acheminent là-bas dans la pénombre à peine prononcée. Ils déambulent comme le sable qui file. Vers quelle échappée ?

Les chaussures des dames à semelles compensées attirent mon regard. Celles qui les portent semblent marcher sur des échafaudages aux variations colorées. Les toilettes griffées, ainsi mises en valeur, tentent d'indiquer quelques signes extérieurs de richesse. Est-ce cela les vacances ? Une plage d'apparence, quelques compositions chères pour coudre et démontrer la dignité et le respect de soi ?

Je ne participe que vaguement à ces codes vestimentaires. Occupée à préparer soigneusement les bagages de la troupe familiale, j'ai manqué de m'ajuster aux usages saisonniers. Et puis, quelle chance. L'espace pour acquérir un bien de choix est ouvert: la liberté de coeur, de même que l'ouverture à la confiance absolue dans le projet d'Amour de notre Seigneur habillent mon désir de vivre. Cela m'attire, m'oriente et donne du sens à ma passeggiata terrestre. Mes expériences quotidiennes sont nourries des paroles de l'Evangile. Que ces signes intérieurs de richesse unifient chacune de nos déambulations locales !

Marie-Claude Gauye


Chemin faisant


Chemin de l'Ecoute


Samedi de mai. Le vent souffle. Peu rassurés, nous prenons la télécabine nous transportant à Isérables, écrin d'un nouveau chemin de l'écoute. Arrivés, nous nous laissons éveiller par le clapotis d'une fontaine. Pierre Mariétan, compositeur et créateur du projet, invite chacun à "tendre l'oreille et à se mettre en position d'en saisir toutes les composantes". Ensemble, nous découvrons le village. Les Bedjuis nous saluent par un doux "Adé". Sur le parcours de la voie des érables, notre écoute se fait plus consciente et nous distinguons les crissements d'insectes, le gazouillis des oiseaux, le murmure des voix. Notre odorat semble accru. Que de parfums nous embaument dans ce chemin de reconnaissance ! Nous expérimentons l'instant présent, les sens tournés vers le ciel.

Au retour, proche du village, c'est à une écoute différente que je suis invitée. Une autochtone s'extasie devant le beau massif de rhubarbe d'une autre habitante. Celle-ci, sans attendre, lui offre toute une brassée de tiges vigoureuses. Elle a entendu le désir de sa compagne et lui a répondu naturellement. Toutes les deux sont en joie, conscientes de la valeur des choses. Ah ! Donner généreusement rend libre !

Ainsi, de la distinction des sons naturels, mon écoute est devenue perception intérieure, communion avec les personnes. Je suis comblée. A Isérables, l'oreille du coeur peut capter aussi la musique du partage. Elle conduit vers le désir du vrai Dieu. " Ecoute, Israël : Yahvé notre Dieu est le seul Yahvé. Tu aimeras Yahvé ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir." (Dt 6, 4-5)

Marie-Claude Gauye   (Textes diffusés dans l'Echo Magazine et transcrits ici, le 27.08.14)



Chemin faisant

Il est temps

Genève, rue des Vieux-Grenadiers7. Me voici dans un musée retraçant l'histoire de l'horlogerie et de l'émaillerie genevoise du XVIème siècle à aujourd'hui. Son accent porte sur l'excellent savoir-faire des Huguenots qui, après la nuit de la Saint-Barthélémy (1572) et la révocation de l'Edit de Nantes, en 1685, s'installèrent à Genève. Deux mille montres et pièces d'horlogerie se livrent à mon regard. Surpris, il apprend à voir la perfection et la beauté de pièces lumineuses. L'on nous dit que la fabrication d'une pièce exceptionnelle nécessite l'intervention d'une vingtaine de métiers différents. De nombreuses disciplines se côtoient: la peinture, les mathématiques, la sculpture, l'astronomie, la mécanique, etc. Cette capacité encyclopédique marque de son empreinte l'Europe entière.

Subitement, dans cet éclatant univers tout de rondeur et de brillance, je découvre une croix. Il s'agit d'une montre cruciforme datant de 1670. Un portrait miniature représente le Christ dans sa Passion, les yeux levés vers le ciel. Au dos, l'on peut distinguer l'incrustation d'un cadran de montre. Lui, l'Eternel, porte en son dos le temps des hommes. Arrêté. Stoppé dans un moment de son histoire. Le Christ rejoint-il encore aujourd'hui le temps des hommes ?

Nous le savons. Sa réalité n'est pas dans un musée, car Il est vivant. Son rayonnement de Christ ressuscité habite les humbles minutes de notre espace de vie. Il est là, à rencontrer, chemin faisant.

Marie-Claude Gauye


Chemin faisant

Hors sol

Vol retour des USA. Quelque part au-dessus de l'Atlantique. Je dépose une couverture sur ma tête, et, loin du bruit, me retrouve enfin en possible intériorité. En famille, nous venons de vivre un beau voyage en Californie. Y ai-je rencontré Dieu ?

A Los Angeles et San Francisco, j'observe, critique, une publicité de jeans marqués "True religion" (vraie religion), un tee shirt noté "Fashion is my religion" (la mode est ma religion). A deux reprises, dans ces deux villes, je reconnais, en pleine rue, la croix de Jésus-Christ brandie par des personnages hurlant des messages couverts par la rumeur citadine.

Au downtown de Los Angeles, j'entre dans la cathédrale, imposant édifice ocre, construit en 2002. La foi catholique y est bien représentée: le baptistère, fait pour une immersion grandeur nature, et une cinquantaine de saints, de toutes époques, tissés (5 m 40 de hauteur) sous des traits contemporains, prient, debout, tournés vers la croix. Oeuvre magistrale ! Mais Jésus, où est-il ? Je le cherche au Coeur. Rien ne dit Sa présence réelle. Je parcours les immenses sous-sols, reviens et trouve enfin dans une toute petite chapelle du Saint-Sacrement un autel blindé, en or. C'est le Pain de Vie que je cherche. J'ai faim de Dieu dans son humble Présence.

Difficile de prier dans cet espace. Je parcours les livres de chants insérés dans les bancs. Aucune messe en ce samedi d'octobre. Pourrais-je rencontrer un prêtre, une religieuse, un séminariste ? Personne. Un grand vide. C'est surprenant. Seule la boutique d'objets religieux est ouverte à l'extérieur.

La méditation de l'Evangile et la communion eucharistique sont les poumons vitaux de la foi. En manquer me laisse mal. Mais c'est le signe de la place que Dieu prend dans ma vie. Aux USA, la rencontre a eu lieu, en creux. Quel voyage !

Marie-Claude Gauye


Chemin faisant

Le bracelet

Matin d'arrière-saison. Grand bleu dans les Alpes. Les enfants sont en classe et, au retour de l'école, je marche assez lentement, pour goûter à la vie, apprécier l'environnement et me laisser interroger par la symbolique du chemin. Chaque jour, se décider pour une intensité de présence.

En longeant un immeuble clair, je distingue, tout à coup, un bracelet sur le sol. Il est en or jaune avec des mailles Cartier et un poinçon sur le mousqueton fermé. Aussitôt, je prends des renseignements auprès d'une voisine sortant de l'immeuble. Sans information appropriée, je me rends à la police municipale, déclare ma trouvaille, présente le bijou et définis le lieu exact sur une carte. Quelqu'un s'étonne que je ne l'aie pas gardé. Comme beaucoup de personnes dans notre pays, l'objet de valeur que je trouve, je le rapporte en lieu sûr. Je ne prends pas le bien d'autrui.

Et, déposé dans ma main, ce bijou semble lever un voile d'intimité. Il rayonne comme plein de chaleur humaine. Il porte, entre ses mailles, une histoire relationnelle unique au monde. C'est cela qui le rend précieux.

Mais il me dit aussi: "Où sont tes richesses ?" Me voilà attentive au poids affectif que je projette sur mes biens personnels. Ces objets transitionnels ne sont-ils pas trop invasifs ? Suis-je libre pour continuer à découvrir le bonheur auquel je suis destinée ? L'intimité de mon être est en jeu. Ai-je assez de légèreté pour me décaler et vivre le détachement comme espace de disponibilité à l'autre et à Dieu ?

Ne pas craindre l'esprit de pauvreté, il dégage un trésor !

Marie-Claude Gauye



Chemin faisant

Un temps de désert

Sion. Vendredi ensoleillé. Partir marcher, voilà ma décision comme réponse à l'appel irrésistible de la chaleureuse lumière. Quittant assez vite les rumeurs citadines, j'arpente un chemin goudronné se faufilant entre les parchets de vigne. Les ceps sont pleins de promesse. Je les regarde avec respect.

Fait rarissime, j'ai dans les oreilles les écouteurs de mon smartphone, branché sur "Option musique". Attentive aux textes des chanteurs, je poursuis ma grimpée en direction d'un bisse. Je me dis que ce moment pourrait se traduire en un temps de désert. C'est anachronique puisque mes oreilles sont pleines de mélodies. Vivre le désert, n'est-ce pas s'élaguer pour écouter dans une attitude silencieuse ? La nature. Les pensées. Le coeur.

Ce qui me permet de me détacher de mes artifices musicaux, c'est le chant de l'eau du bisse. Ses clapotis me rappellent les airs délicats interprétés hier par Janine Jansen, violoniste virtuose, au Sion Festival. Interprétation de toute grande douceur, velouté dans l'amorce des phrases musicales, fluidité des mélodies ... Le bisse ne s'en fait-il pas l'écho ?

Plus je m'immerge dans l'étendue montagneuse, plus ma respiration s'approfondit et mon esprit s'harmonise. Silence. Notre Créateur nous offre Sa beauté. Elle est aussi rassasiante qu'une nourriture délicate. Savons-nous l'accueillir, avec une faim véritable ?

"C'est pourquoi je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son coeur." (Os, 2,16)

Marie-Claude Gauye


Chemin faisant

Westfield

Londres, quartier olympique. Le temps se réchauffe et juillet s'éteint bientôt. Nous voici installés dans un hôtel jouxtant le plus grand centre commercial d'Europe : le Westfield Stratford City. Inutile d'aller au centre-ville perdre de l'énergie dans la complexité des transports en commun. Tout est là. Les dernières marques vestimentaires à la mode, les derniers objets fétiches, les senteurs culte, les accessoires chics, les cuisines exotiques, les supermarchés cotés ...

Nous succombons. Et nous voilà partis arpenter les trois étages d'offres infinies. Une phrase résonne en sourdine dans mon inconscient aseptisé: "labourez, prenez de la peine, un trésor est caché dedans". De choses essentielles en petites trouvailles uniques, ma carte bleue glisse généreusement hors du portemonnaie.

Au fond de mon coeur, un appel intérieur exigeant me saisit. Je me mets à chercher. Les mains chargées de sacs, en un déclic, je me rappelle de la perle que j'ai découverte en suivant pas à pas notre Seigneur Jésus-Christ. Il me manque et cela me rend libre. Je quitte le lieu sans regret.

A la Cathédrale Saint-Paul, pendant la prière du soir - l'Evensong -, je balbutie les paroles de Matthieu (13, 44) : " Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor qui était caché dans un champ et qu'un homme vient à trouver: il le recache, s'en va ravi de joie vendre tout ce qu'il possède, et achète ce champ."

En rentrant en Suisse, je défais ma valise avec détachement et sérénité. Je sais que rien ne peut cacher mon trésor. Il est Présence. "Rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus-Christ notre Seigneur."

Marie-Claude Gauye


Chemin faisant

Soif d'éternité

Londres, en été. Nous égrenons des lieux reconnus tels que le London Eye, Buckingham Palace, le Tower Bridge, la National Gallery, Westminter Abbey ... Dans une chapelle latérale de cet élégant édifice gothique, je découvre le gisant d'un chevalier nommé Giles Daubeney. Sous chacune de ses semelles est sculptée une miniature. Il s'agit d'un moine priant le chapelet avec ferveur. Cette cachette m'émeut. Confier notre vie à la prière des moines pendant que nous pérégrinons, quelle complémentarité bienveillante !

Nous parcourons de longs couloirs traversés de courants d'air avant d'atteindre la ligne de métro souhaitée, la Jubilee Line. J'observe nos compagnons de voyage, impassibles, occupés à lire des textos sur leur smartphone. Je côtoie de jeunes mamans toutes attentives à hydrater leur enfant. Douceur et tendresse. J'aimerais retenir tous ces instants de vacances, les rendre éternels. Un avion m'attend. Il me faut surfer sur le temps qui passe.

La chance me sourit. Une abbaye bénédictine, nichée au coeur du Morvan, accueille notre famille. Durant la veillée, les moines ont placé au milieu d'eux, dans le choeur de leur église, leur frère récemment décédé. Le père Mayeul de Dreuille repose pour l'éternité, tout offert à son Seigneur. Temps suspendu. En bénissant le moine, je ressens une douce harmonie et chante, avec la communauté, la liturgie du soir. Le lundi de son ensevelissement sera le "dies natalis", jour de sa naissance au ciel et fête pour les frères.

Cette halte au monastère me procure la paix. Avec les frères en prière, terre et ciel ne font plus qu'un. J'y expérimente un temps d'éternité.

Et maintenant, vous savez qui porte mes pas !

Marie-Claude Gauye